L'après-tarte ■ PV Daniel

Je grimpe les escaliers d'une traite, ouvre la porte à Daniel.

– Bienvenue dans le chalet…

Puis ma voix casse sur la fin de ses accents, comme si je n'avais pas pris assez d'air pour mes mots. A peine. Mais assez pour que je le sente.

– … Daniel !

Åh, shit. J'ai assez passé de temps avec iel pour savoir qu'iel était perspicace pour ce genre de chose, donc je me racle la gorge en gloussant. "Désolé, je pense bien que notre petite randonnée m'a un peu fatigué." Petit sourire.

Et je ne mens pas. Monter tout en haut du cirque à pied et rester en plein soleil est encore un peu nouveau pour mon corps, donc maintenant que l'adrénaline retombe et que la fraîcheur regagne mes muscles, je commence à bien ressentir l'après-coup. Puis je n'ai pas exactement très bien dormi aujourd'hui non plus, même si ma tête tournait en rond dans le vide à la place de… peu importe.

Je ne change rien à mon sourire, laisse Daniel entrer et forme la porte à sa suite. Je me dirige alors vers les escaliers, passant par la descente devant le hologramme de feu dans la cheminée, addresse un sourire à mon invité.e sans me tourner.

– J"aime beaucoup cet espace commun, ça me rappelle ma maison…

Et j'y pense fort, à ma maison. Au feu qui dort au fond de la cheminée les matins d'hiver, à l'odeur des Brunkager qui se mêlent aux Pryaniki après Noël, à la Vargsången de mon père et la Dédication de ma mère les soirs où je pensais que les ombres étaient là pour m'avaler. Le feu dans la cheminée m'a toujours regardé sans rien dire. Sans jugement. Même quand des torrents de larmes m'ont frappé tellement fort peu après l'avoir vu pour la dernière fois que c'était à se demander si ce n'était le Mjölnir que j'avais reçu dans la face.

Je soupire, remarquant enfin que j'avais fait une pause inutilement longue devant le faux feu. Je secoue la tête, riant encore de moi.

– A ce rythme là, je vais te donner envie de dormir ! déclaré-je à Dany en me tournant réellement vers iel cette fois.

Mon sourire s'élargit.

— Bon ! Je te montre les douches, Dany ? Je marque une pause, réalisant que lui avait naturellement attribué.e un surnom. Oh et je peux t'appeler Dany ?

Allez Shu, faut arrêter les conneries avant de retomber la tête la première dedans. Pense à autre chose. Pense aux belles choses. Comme à tes incroyables nouvelles rencontres qui promettent de t'enrichir au quotidien.

– … Elle fait partie de tout ça…

B`lyad'.

Mon sourire s'évanouit sur les bords, mais je le rattrape aussi vite que je peux. "Euh, uhm, oui, merci…" balbutié-je, le regard fuyant. Regardez-moi ça ! Au moment où je pensais qu'on allait ranger cette histoire…

Je secoue la tête et retrouve la largeur de mon sourire. Je me suis déjà étalé sur cette histoire en fond, en large et en travers, à Daniel et à moi-même, donc… donc y en a franchement assez. Je ne flanche pas non plus quand iel parle de questions. Il vaut mieux laisser cette conversation à plus tard, ou à pas du tout si je suis franc…

Puis iel rougit comme une tomate devant le surnom, et mes pensées sont distraites par autre chose. Je glousse.

– Ok ! Du moment que ça te plait.

Mon sourire s'enfonce alors légèrement dans mes joues. Parce que je suis réellement reconnaissant envers Daniel pour son attention. Mais je n'ai aussi pas du tout du tout envie de remettre ça sur la table, même s'iel a l'air d'y tenir… Et quelque part, son souhait est un peu ce que j'ai demandé au lac hier. Donc j'en suis aussi un peu déconcerté.

– Je l'espère… pour nous deux.

Et je serre un peu les lèvres. Je ne sais pas à quoi iel pensait en haut du cirque, mais peu importe ce que c'est, j'espère qu'iel le laissera derrière et s'envolera très loin. Réellement. Un souhait que je formule tacitement pendant que mes yeux se reposent sur le feu… Chose qui me fait enfin réaliser que j'ai complètement arrêté de marcher ! Je ris de moi-même et me racle la gorge, tentant de détendre l'atmosphère.

– Bon ! Je vais arrêter de te chanter des berceuses et te montrer ces douches, pour le coup. Après toi !

Et je lea laisse me devancer vers les escaliers, jetant un dernier regard au feu – aux souvenirs qui y sont liés aussi.



Après avoir atteint le premier étage, je me dirige vers la pièce en question, ouvre la porte dans un geste théâtral.

– Nous y sommes !

Je lui souris.

– Sinon ma chambre, c'est la dernière au fond du couloir de ce côté. Et je marque une pause pour lui indiquer de quel couloir et de quel côté je parle. Il y a un flocon de neige sur le paillasson au cas où tu as des doutes.

Et je ris en pensant à mes prochains mots. “La porte est en verre fumé dans ma chambre, donc je pense que tu préféreras celles d'ici !”

Je lea laisse donc se familiariser avec l'endroit, ajuste le sac sur mes épaules et me retourne. Je marche lentement vers ma chambre… Elle fait partie de tout ça… Je soupire, relâche enfin les muscles de mes joues. Oui elle fait partie de tout ça. Du tout ça que je suis. Naveed me l'a dit, d'autres amis me l'ont dit, je me le suis dit, un milliard de fois, et pourtant. Pourtant plus le temps passe, plus j'en ai marre d'essayer de l'accepter, pensé-je en m'effaçant les pieds sur le flocon de neige, ma frustration avec. J'ai même pensé que tout simplement l'enfermer dans un coin de ma tête me donnerait enfin le dénouement que j'attendais. Non, le dénouement après lequel j'ai couru sans relâche. Je rentre le code et la porte s'ouvre. Toutes les clés et les chaînes que j'ai mis au coin n'auront cela dit jamais été assez résistantes pour garder ces… émotions, à l'intérieur.

Je ne fais aucune pause, lâche mon sac sur le sol et rentre à l'intérieur de la salle de bain. L'eau coule bientôt sur ma peau, alors qu'elle coule sur mon esprit... Et je me dis qu'il vaut mieux que je la laisse couler maintenant. Sinon, ce sera plus tard devant Daniel. Donc je laisse l’eau prendre tous les mots et tout le silence que je ne comprends pas et les emmener. Je laisse le souvenir de ses lèvres et la mélodie de son odeur sur ma peau se perdre dans les flots, qu'ils m'en épargnent au moins aussi longtemps que ça dure. Qu'ils me la rendent au moins aussi longtemps que ça… d-dure… Rho et puis m-merde…

Je me prends la tête dans l'espoir d'arrêter le tapage à l'intérieur, sanglote sans bruit… Maya… Maya, dis-moi. Est-ce qu'il t'arrive de te courber en deux sous la douche pour essayer d'amortir la coulée de sang que tu sens gicler de ton cœur ? Est-ce qu'il t'arrive de parler à tous les dieux du monde dans l'espoir que l'un d'entre eux t'entende enfin et efface la trace de notre histoire ? Est-ce qu'il suffit que je sois brièvement mentionné, par les gens ou par le monde, pour que tout ce que tu as cru avoir traité et classé s'envole si violemment dans ton cœur que tu as l'impression que c'est hier qu'on s'est dit au revoir sans mot ? Est-ce qu'il t'arrive de ne vouloir que t'enfoncer dans mes bras et, mais de ne plus jamais te souvenir du rythme de mon cœur ?

J’inspire mes questions, expire son silence en chevrotant. Mes pensées coulent sur mon esprit, mes larmes coulent sans bruit avec l'eau savonnée qui m'enveloppe. Tout ce qui grouille dans ma tête, tous les souvenirs qui s'animent sur ma peau ne s'adressent qu'à une seule personne au monde. Ne s'adressent à personne au monde. Maya… Maya, dis-moi. Est-ce qu'à chaque fois que tu essayes d'ouvrir ton cœur à quelqu'un d'autre, ce sont les traits de mon visage qui se referment dessus ? Est-ce qu'il t'arrive encore de surprendre ton visage larmoyant dans la glace sans comprendre comment, pourquoi après autant de temps, ce serait possible ? Comment, pourquoi après autant de temps, la douleur pourrait s'éveiller comme un blizzard qui n'a jamais réellement trouvé son repos ? Un blizzard qui souffle aussi fort et aussi loin de toi qu'il ne peut ? Un blizzard qui ne siffle que ton nom en boucle quand il passe à travers les cavités de mon cœur ?

Rha et puis je ne sais même plus ce qu'il se passe dans cette tête, à quoi je pense ou à quoi ou à qui c'est destiné… Je ne sais même plus ce que je ressens pour tout dire. La seule certitude que je possède en ce moment, moi qui suis pourtant toujours clair sur ce qui m'anime, c'est que j'ai mal au cœur et que je pleure. Et pour l'instant présent, cette vérité est assez forte pour dissiper tout jugement de si c'est pathétique ou pas… Mais peut-être que je dois me contenter de ça. Et de laisser l'excès de toutes ces choses trop lourdes pour mon esprit disparaître sous le siphon du sol.

Puis, dans un sursaut, je réalise que j'ai probablement passé bien assez de temps sous cette douche, donc je ferme le flux d'un coup. Maya… Maya, dis-moi. Est-ce que tu te souviens du souffle qui se coupait dans mes poumons quand je voyais l'eau couler sur ta peau ? Je m'enveloppe dans mes serviettes, mon esprit quelque peu apaisé maintenant qu'au moins les vagues qui battent dessus entament leur rechute. Même si ce n’est sans doute que momentané si j’en juge des derniers jours.

Je quitte la salle de bain, n'accorde qu'un intérêt fugace à la clim trop forte, puis marche lentement vers ma commode. Est-ce que qu'il t'arrive encore de fermer les yeux et de repasser en boucle le bruit de mes pas sur le parquet de ta chambre ? Le premier short et le premier tee-shirt que je vois feront l'affaire, les ayant vite enfilés, je plonge dans mon lit. Une petite musique de fond sur mon enceinte, j'enclenche ma lampe à tourniquet et fixe les flocons qui défilent sur le plafond, fixe la lumière dans son regard limpide quand je cligne des yeux… Est-ce que quelque part dans tes rêves, tu me vois encore, m’entends encore te parler, me parler de nous ? J'attends le retour de Daniel en faisant tout ce que je peux pour garder mes yeux aérés… mais finis par me dire que les fermer m’aidera certainement à moins les irriter vu les quelques larmes qui coulent encore. Même si je ne vois plus que la riche couleur de ses iris ainsi…

Maya… Maya, dis-moi. Est-ce que tu te souviens de combien je t'aimais ?

J’inspire, compte les secondes jusqu’à cinq, expire, les compte jusqu’à six. La voix d’Agnes Obel se réverbère sur le bois des murs, tout doucement. Je tâtonne à la recherche d’un mouchoir sur ma commode, inspirant autant de la sérénité dans son chant que possible, expirant autant de confusion et d’émotions que possible.

Ça ira, Shu. Ça ira. C’est qu’une rechute. Changement drastique d’environnement. Les anciens démons viennent frapper à ta porte. Voilà tout.

Tout en essayant de me convaincre de ce que je dis, je fixe les flocons qui défilent sur mes vitres, ceux qui caressent le plafond dans une tendre dance et…

– SORA… rezu… kawatte iku… ♪

Je tends l’oreille, me redresse légèrement sur mon lit en scrutant la fente de ma porte. Ah, c’est Daniel ? Les coins de mes lèvres s'écartent malgré moi. Quelques larmes encore attachées aux coins de mes yeux tombent en vibrant sur ma couette. S’iel vivait ici, ce couloir ne manquerait jamais de vie…

Je relâche mon poids sur mon lit, à nouveau, le chant de Daniel toujours en arrière-plan - un bien joyeux refrain comparé à ce qui berce ma chambre. Je me dis alors que je vais peut-être suivre son exemple. Les artistes ne chantent pas les louanges de leur art vis-à-vis des choses qui habitent leur cœur pour rien…  Je ferme les yeux et suis les notes, serre les paroles contre mon cœur.

– Like fuel to the fire… harmonisé-je doucement, dans un semblant de mélodie.

Like cyclamens on dormant grief… fait ma conscience. Je soupire, inspire à nouveau en égrenant les secondes. Les tremblements que j’ai étouffé depuis plusieurs jours commencent à se calmer dans ce minuteur de paix. J’expire, un petit peu plus fort:

– Pious words to cry into the under. Upon your shore as sure as I can say. Be gone be faraway.

Be gone, be faraway, feelings lost to time, firmly imbued into the present, continue ma conscience, en écho au piano qui s’ensuit, éclipsant le reste des paroles. Je repense à la prière que j’ai adressé au lac hier, la joint à celle cachée dans les notes d’aujourd’hui, espérant que les pétales de fleurs solidement attachés à mon être soient emportés loin de sa rive.

– Merci de m’avoir laissé prendre ma douche.

Je sursaute, tombant presque de l’autre côté de mon lit, mes oreilles et ma queue lupines sortent dans la surprise. Je m’agrippe autant que je peux au rebord du lit, mais conclut qu’au final, ce sera soit la chute, soit la nouvelle couette, donc je prends l’option évidente.

Et avant que je puisse dire la moindre chose, des chatouilles arrivent dans mes côtes. Fatalement, je me tords donc comme un asticot en soufflant nasalement et… me frappe la tête contre un des pieds du lit. Je serre très fort les dents en geignant.

– De rien… fais-je en posant une main sur mon front, faisant délibérément le pont sur le reste de ses mots.

Bon, ça va, c’est pas le genre de coup qui nécessite de la glace. Mais je le sens. Assez pour qu’Art dise que c’est bien fait pour moi.

– T’inquiète pas, je suis juste hyper chatouilleux, anticipé-je en souriant tant bien que mal. Puis j'ai déjà eu pire...

Peut-être que j’aurais dû m'acheter une nouvelle couette au final.

Appliquant toujours un peu de poids sur mon front, je me redresse. Ne pas sous-estimer une blessure… Ça, il ne faut pas me le répéter deux fois. Je soupire, assis comme ça sur le sol, le dos contre mon lit. Je ne fais plus vraiment d’effort pour cacher comment je me sens, puis de toute façon, je suis complètement cramé. Les larmes ont cessé, heureusement, même si j’ai probablement encore les yeux rouges. Mais ne soulignons pas ce détail.

Puis je perçois cette singulière joie dans les yeux et le ton de Daniel quand iel continue à parler. Lea voir réagir ainsi à mon côté loup, c’est plus fort que moi, un faible rire s’échappe du fond de ma gorge. Même si, pour ne pas changer, je ne comprends qu’à moitié ses images. Enfin, pour le Lougaroc, j’ai assurément compris. Difficile d’oublier la gueulante que je me suis prise dans les oreilles le jour où mon frère a voulu me montrer ce pokémon. Je glousse, partagé entre l’exaspération tacite et l’amusement à ce souvenir. Et puis, il a un beau design, donc venant de Daniel, c'est un sacré compliment.

– Pardon, je m’emporte.

Je lui souris, sincèrement, malgré la douleur sourde sur mon front et celle qui s’assourdit dans mon cœur. Je me décale aussi du lit pour être face à iel.

– Aucune raison de t’excuser. Tu as une façon bien à toi de voir le monde, et c’est beau et original. J’apprécie ça chez toi, en fait.

Puis iel évoque le karaoké, je glousse, presque sans bruit.

– Non non ! Je t’entendais à peine. Et ce que j’ai entendu a eu le mérite de me tirer de mes réflexions, donc 0 souci, au contraire. Je marque une pause, cherchant la référence dans mon cerveau embrumé par les émotions qui retombent. C’était un générique de Naruto, pas vrai ?

Mon attention est brièvement attirée par Beautiful Disaster qui enserre la chambre depuis quelques minutes, je pose les yeux sur mon enceinte. Yep, parfait pour changer de sujet en plus.

– Tiens, d’ailleurs, tu veux mettre une chanson ? Vu que tu n’iras pas à la soirée, on peut se partager nos pistes maintenant, si tu veux.

Mes pupilles sont sèches, mais je n’y prête pas d'attention. Je me lèverai me rafraîchir le visage quand ce sera le moins awkward de le faire.

– Je chante beaucoup de Naruto, pour pas dire essentiellement. Tes réflexions ?

Je glousse, réellement, repensant au joyeux entrain des notes de Daniel. Et au moins pendant un instant, les émotions empreintes dans la chanson de fond s’éclipsent.

– Et bien c’était joli, et plein d’énergie, acquiescé-je, un sourire au coin des lèvres. Idéal pour se mettre dans le bon mood avant un match, par exemple.

Puis quand je lui suggère de mettre sa playlist, sa vigueur est telle que je cligne des yeux, surpris. Mais comme d’habitude avec iel, je suis vite vaincu par l’amusement. On aurait dit un enfant à qui on a suggéré d’aller à son parc d’attraction préféré, et ça, c’est adorable.

– Hmm… fais-je en traitant tous les mots qu’iel vient de prononcer. Tu veux qu’on parte sur un truc plus chill ? A moins que tu veuilles jouer autre chose, bien sûr.

Je pense qu’on entend l’indécision dans ma voix, et je sais pourquoi. Enfin bref, je me lève et marche vers mon enceinte. Je n’ai pas envie d’imposer mes émotions à qui que ce soit, encore moins à une boule de joie et de bonne humeur comme Daniel. Puis honnêtement… Cette rechute a assez duré. Mais en même temps, je ne sens pas en moi l’énergie d’écouter quelque chose de trop fort avec trop d’instruments. J’ai l’impression que cette demi-journée a assez saturé mes sens comme ça.

J’appuie sur le bouton Bluetooth et des basses saccadées se répètent, signalant que l’enceinte est prête à se connecter à un nouvel appareil. Je me tourne vers Daniel en souriant avec un faible hochement de tête, signalant qu’iel pouvait se connecter. En attendant, je rentre dans la salle de bain pour me laver le visage.

Je presse les doigts refroidis par l’eau sur mes pupilles, soupirant. C’est que mes yeux me piquent sacrément depuis un bon quart d’heure… Et puis, j’espère que ça en réduira la rougeur, histoire de ne pas continuer ce cirque indéfiniment devant Daniel.

En m’essuyant le visage, je tend une oreille appréciative vis-à-vis de la petite chanson jouée par l’enceinte: une mélodie toute simple qui emplit l’espace du son, plus entraînante que le piano d’Agnes Obel ou le synthétiseur de Rachel Chinouriri, mais qui ne rompt pas l’équilibre sacré du silence. Je souris. Ce sont des notes pleines d’espoir. Même si je ne sais pas si c’est d’espoir dont j’ai besoin.

Quand je reviens dans ma chambre, l’enceinte a enchaîné sur une autre piste, un peu moins ambiante que la précédente, mais dont j’apprécie le petit piano de fond. Daniel, allongé.e, chantonne doucement en suivant les paroles. Je trouve ça vachement impressionnant de pouvoir faire ça avec des langues qu’on ne parle pas. Oh, attendez, à moins qu’iel parle japonais ? C’est vrai que je n’en ai aucune idée. Je lea connais à peine depuis quelques jours… Et pourtant, c’est comme s’iel était une vieille connaissance.

– C’est joli, complimenté-je, rompant le courant de notes.

Je vais m’asseoir sur le bord du lit à mon tour, cette fois sans trace de mes attributs canins. Enfin, à moins que Daniel réussisse à me faire sursauter une nouvelle fois, là, ça ne durera pas longtemps.

– Les chansons de l’enceinte et la tienne, précisé-je, gloussant.

"Un moment loin de toutes mes pensées"... J’ai pu la voir, cette pointe de tristesse dans ses yeux. Je sais que je n’ai pas parlé de la moindre chose aujourd’hui, mais certaines personnes sont plus sensibles aux émotions des autres, et du peu que j’ai vu, j’ai bien l’impression que Dany en fait partie… J’espère sincèrement que je n’ai pas réveillé des choses auxquelles iel n’a pas envie de penser non plus.

Les coins de mon sourire s’élargissent devant les premiers mots de réconfort de Daniel. Je laisse couler la gêne, les tentatives de cacher la… rechute, tristesse ou je-ne-sais-quel-mélange-d’émotions avec. Un écoulement qui ne provoque juste rien. Ni larme ne coule ni sourire ne s’affaisse. Je lâche juste un soupir, et la pression entourant mon cœur comme une cloison supplémentaire se relâche. Il ne sert à rien d’essayer de cacher avec Dany, si ce n’est que de compliquer les choses sans nécessité.

– Je les apprécie, et elles m’ont fait sourire, réponds-je. Merci.

Puis iel parle de chantonner certaines des pistes que j’écoute habituellement, et je glousse. Une note mentale de ne rien jouer qui soit chanté en danois ou en russe autour d’iel, au risque de lui donner du vrai fil à retordre pour tout prononcer, quoique ce serait franchement adorable. Mais je serre aussi un peu les lèvres quand iel parle de chansons qui me rappelle “ce qui est moins bon”, ce qui me la rappelle aujourd’hui… Je cherche les mots pour répondre, peut-être un peu expliquer, mais ils ne viennent pas, donc je me contente de hocher la tête dans un geste d’approbation.

Et puis les notes défilent, auxquelles je tends une oreille appréciative. Ce sont des mélodies que je n’ai jamais entendu, comme des tombées de neige d’un ciel inconnu. Et en contemplant les fenêtres de ma chambre qui affichent une forêt d’Island Eleven recouverte par un doux manteau blanc dans un autre monde, je ferme les yeux un instant pour sentir ces images bercer mon cœur. Ça va aller, Shu. C’est qu’une méchante rechute. Une larme silencieuse roule sur ma joue.

– Si tu veux les titres, je te les passe.

La voix de Dany me tire de mes pensées. J’efface ma joue, sans plus aucune précipitation, et me retourne vers iel. “Volontiers,” renchéris-je, la voix portant moins d’enthousiasme que je ne l’aurais souhaité.

Je sors mon téléphone pour activement noter les titres que Dany me recommande. Et bah tiens, sans aucune surprise, elle est pleine d’OSTs venants des aventures d’un certain ninja dont iel a l’air d’être particulièrement fan. Cette pensée me fait sourire, parce que je sais que ces histoires sont pleines de courage, et j’ai bien l’impression que c’est ce que Daniel essaye de me transmettre sans le dire explicitement. Mais... Je sais aussi que ça veut dire qu’iel a dû chercher du courage pour sa propre personne dans ces titres. Et peu importe pour quelle raison, qu'elle soit liée à la pointe de tristesse qui se lit dans ses traits de temps en temps ou pas, j’espère de tout cœur que ça ira pour iel.

– Merci, fais-je tout simplement, sans plus essayer de prétendre que j’ai l’énergie de formuler des phrases plus longues.

Les chansons se suivent, puis Dany décide de se prêter à une petite danse. Je ne pense pas que ce soit son intention, mais la singularité qui accompagne toutes ses mimiques est aussi bien présente dans sa façon de bouger. J’en glousse doucement, puis ramène les jambes vers moi pour m’asseoir en tailleur sur le bord de mon lit. Je ferme les yeux et lâche un soupir en laissant la musique me bercer…

– In other words, hold my hand… fredonné-je à mi-voix, continuant sur la lancée de Dany.

Et juste l’espace d’un instant, je revois ses yeux briller dans la semi-lumière du crépuscule, la laissant guider mes pas dans une lente valse, son souffle réchauffant mon cœur, nos mains jointes comme une ancre dans la réalité… J’esquisse un sourire, sentant les poches de mes yeux recommencer à se remplir.

– Fill my heart with song and let me sing for ever more… continué-je, un peu moins fort.

Sa voix, sa peau, sa douceur, son rire, ses réflexions, ses lèvres, elle... Je laisse les pensées venir, puis partir comme elles sont venues. Bercé par la musique, j’essaye de trouver mon centre de gravité dans tout cet enchevêtrement de dits et de non-dits. Mais dans cet instant présent, il n’y a pas de questions. Il n’y a pas de reproches, pas d’envie de fuir, il n’y a que… de la tristesse, pure et dure. Et c’est peut-être contre-intuitif, mais ça fait du bien de la laisser couler.

Je rouvre les yeux pour trouver un.e Dany qui danse toujours. J’efface les quelques larmes qui brillent aux coins de mes yeux et lui offre un sourire. Et puis c’est tout. Je sais qu’iel ne me juge pas. Je sais aussi qu’iel ne me forcera pas à parler. Et pour ça, je lui en suis infiniment reconnaissant.

– Tu sais que c’est fascinant tout ce qui nous arrive. J’aime bien cette île. On va pouvoir faire briller nos équipes.

J’acquiesce. "Hâte de découvrir les programmes d'entraînements."