Première exploration • PV Artem

J'inspire, laisse l'air frais emplir mes poumons. Il fait tellement bon sur l'île. Je n'ai pas encore tout vu, je ne suis ici que depuis quelques jours, mais jusqu'ici, elle a tout l'air d'être à la hauteur de sa réputation, peut-être même au-dessus. Outre la beauté du cirque, l'eau est encore plus bleue que je ne le pensais, et le sable qui file sous mes pieds ressemble presque à des pépites d'or et d'argent. Quand je lève la tête, je vois un dôme de sable se profiler dans le lointain. Je me tourne vers Artem. "Je suppose que ça doit être ça le QG !"

Lorsque nous atteignons le pied du bâtiment, je cherche une porte… mais il n'y en a pas. Je suppose qu'il faut donc prendre les marches creusées dans la sphère ? Je scrute les alentours et remarque qu'il y a un signe peint dans la roche, indiquant l'existence d'une entrée de l'autre côté du bâtiment, mais réservée aux handicapés. Je hausse les épaules et prend donc les marches, atteint le haut du dôme et descend à l'intérieur du bâtiment.

L'air y est beaucoup plus lourd qu'à l'extérieur, et le seul éclairage est celui du plafond ouvert par lequel je descends. Lorsque j'atteins la dernière marche, mes pieds de posent sur un fond ferme, mais poussiéreux… ah non, c'est du sable.

"Wow…" laissé-je échapper lorsque mes yeux se posent sur la fontaine. Cachée par des feuilles, l'eau se mêle au sable qui dans le demi-éclairage scintille comme de l'or qui coule. Lorsque je plonge ma main dans l'eau, j'en sors des feuilles et des pétales de fleurs rosées, des têtes de fleurs entières aussi… qui… ressemblent beaucoup à… à quoi déjà ? J'ai déjà vu ces fleurs quelque part.

"Du... er strannyy." ¹

Blyad'.²
Je n’ai même pas le temps d’essayer de forcer un sourire sur mon visage que les sondes vertes d’Artem s’enfoncent dans mes yeux et lisent dans mon coeur. Artem, quoi. Tous les muscles de mon corps se crispent. Oh non dites-moi qu’il a pas capté. Je réussis malgré le mélange d’émotions qui agitent mon cœur à esquisser un faible sourire quand il me lâche pour faire un tour autour de moi, expression que je lui présente quand il se remet à me fixer. “Euh, non, pas du tout, t’inquiète. J’ai juste avalé du sa---”
Je regarde ses pupilles bouger aux coins de ses yeux. La fontaine. Les fleurs. Oh non, il a capté.

“Bozhe, eto vse yeshche ona? No razve ty ne mozhesh' nemnogo osvobodit'sya ot yego vospominaniy ? Vi er ikke her for at tage føringen med fortiden !” ³
Je tourne le visage vers la gauche, à l'opposé de la fontaine. J’ai pas envie de continuer à regarder cette fleur, encore moins de regarder l’inquiétude au fond des yeux d’Artem, ou de réagir à ses paroles sur-le-champ. Je pousse un profond soupir et éloigne doucement sa main de mon visage, mais avant que je n’aie le temps de placer le moindre mot, il me serre déjà la main et me tire vers la cuisine. Il marche d’un pas assuré, sans s’arrêter une seconde. Comme il fait toujours avec les os, les côtes ou les cœurs brisés.


Je ne dis rien jusqu'à la cuisine, vide elle aussi. J’imagine qu’il n y a vraiment pas beaucoup de nouvelles têtes. Je lâche la main d’Artem et vais vers l’un des congélos. Quand je l’ouvre, je vois bien qu’il est sacrément bien fourni tiens ! Il y a des jus, des limonades, toute une ribambelle de boissons, alcoolisées ou pas ! “Artie ?” Je prends la première chose que je vois devant moi: un jus multifruit, et garde la porte ouverte pour mon søskende⁴. Je me tourne vers lui, et le ton ferme, lui déclare: “T'en fais pas pour moi, ok ? C’est juste parce que ce sont des cyclamens, c’étaient ses fleurs préférées.” Avant qu’il n’ait le temps de trouver une quelconque faille imaginaire dans ce que je dis, j’enchaîne: “I net, vy ne vidite ikh kazhdyy den', po krayney mere, v Anglii.”⁵ Et je ne mens pas. Je ne veux plus revoir Maya de ma vie. C'est juste... la façon avec laquelle les êtres qu'on a aimé teintent le monde à jamais. C'est tout.

“Mwerf.”
Mouais, il a pas l’air ultra convaincu, mais le fait qu’il ne réponde pas autre chose et qu’il porte son attention sur le frigo me dit qu’il me croit assez pour pas dire autre chose. Donc il doit assez bien me croire.

Je regarde la boisson qu’il sort du frigo. Bon, c’est qu’une bière. Mais une bière à cette heure ? Bon, je parlerai s’il en reprend une deuxième. Je veux dire,  là, j’ai pas vraiment l’impression que ce soit une de ces fois où il prend une bière le matin parce que c’est l’envie du moment. Là, dans la fraction de seconde entre le moment où il resserre la main sur sa boisson et l’instant où il pose les yeux sur moi, j’ai bien l’impression de voir un certain basané aux yeux verts en train de s’agiter au fond de ses pupilles.

Cela dit, avant que j’aie le temps de dire quoi que ce soit, il me tend sa bouteille pour trinquer. Je ne dis pas ma pensée, souris et lui tend la mienne.
“À un futur resplendissant à base de ballons, de coupes et de boissons fraîches. Et nique le passé.”
Gling. Une forte exhalation sort de mon nez sans mon contrôle. Geez Artem. Y’a vraiment que lui pour me faire rire dans une situation pareille. “Nique le passé !” renchéris-je. Mais j’ai à peine le temps de porter ma boisson à ma bouche qu’il me tire par mon tee-shirt et m'entraine vers la sortie.

“- Okay, lad os se, hvad der sker næste gang, jævn !*
- Attends attends, qui est-ce que tu traites de petit con ?” rétorqué-je avec une fausse rage dans la voix, les sourcils quelque peu plissés.
Puis, sans crier gare, je passe ma main droite autour de son cou et enfonce mon poing gauche contre son crâne, en frottant bien comme il faut la forêt rousse sur ses cheveux. Je sens ma queue de loup me battre dans le dos. Je ris, du fond du cœur, et franchement, ça fait du bien. “Ne vozvrashchaysya v proshloye, a, merzavets? Du tager ikke en anden, er du?”** demandé-je, forçant un brin de sérieux dans ma gorge.

Artem ne lâche pas, moi non plus. J’évite ses coups et en donne, bougeant les oreilles juste à temps pour éviter une morsure, sans arrêter de rire - un rire devenu bien proche d’un hurlement. Bien que je me trouve dans ma peau de loup, il a fallu qu’Artem m’immobilise sur le sol pour que je me rende compte que mes mains sont des pattes poilus. Le loup fait partie de moi.
Mais alors que je vois les moustaches d’Artem trembloter de satisfaction, ma vigilance canine s’éveille à nouveau. Il s’ébroue, lâche un peu la pression sur sa patte. Seychas*.

Dans un seul élan,, c’est à présent moi qui le plaque au sol, la patte un peu sous la gorge. Je sens mes papilles découvrir un sourire satisfait, puis, avant de lui laisser le temps de réagir, je me mets sur mes pattes arrières et regagne ma forme humaine. Je vais vers la table, prends une réelle gorgée du jus que j’ai sauvé de finir en revêtement de sol quelques instants plus tôt, puis finis la bouteille pour de bon avant de la jeter à la poubelle. Je me retourne vers Artem. “Lad os gå !”**

Je saute, les mains en avant, passe au-dessus de Artem et reprends ma forme de loup dans les airs. Je m’élance à travers le couloir, filant entre lières, sable, et roche, les sens aiguisés par ma forme animale. Je laisse l’air du QG-temple perdu emplir mes sens, et cours, sans me retourner. L’air est lourd, mais lourd de bonheur. Il sent la mer, les rires, la douceur de ma mère. Je ferme les yeux, et laisse les doux souvenirs s’épancher contre ma conscience, emportant avec eux la douceur au fond des yeux que je ne veux plus jamais recroiser de ma vie.

Je réagis à peine au coup de mon frère - à la place, je garde le regard fixé sur les nouveaux blocs de terre qui défilent avec notre course. Leur apparence est curieuse, ils ont tous l'air de sortir d'un des artbooks de Naveed, ceux qu’il a commandés de son RPG médiéval favori. Artem bondit par-dessus l’un d’entre eux, puis nous courons jusqu’à un espace où le plafond devient plus haut. A l’approche du cours d’eau, nous ralentissons, enfin, je ralentis. Artem, non. Je fronce les sourcils. Me dites pas qu’il va encore aller se jeter dans l’----

Et puis du sable me rentre dans les yeux, comme ça. Enfin, pas comme ça. Ce fourbe de Artem s’est dit qu’il allait me tourner autour à pleine vitesse dans un endroit plein de sable. Je m’arrête net, bien entendu, puis éternue sans arriver à arrêter. Mes yeux brûlent tellement que je reprends ma forme humaine pour minimiser le picotement. Je ferme les yeux, essaye de m’empêcher de les gratter pour ne pas faire empirer les choses, puis, quand la tornade s’estompe, je lève la tête vers là où j’ai senti Artem bouger, les yeux toujours clos. J’éternue encore une ou deux fois avant d’enfin pouvoir arrêter. Ca fait maaaaaaaaaal.

“Vy dumayete, chto u drugikh komand takiye shtaby?”** Sérieux, qu’est-ce que je m’en-- ? “YA ne znayu.”** déclaré-je, ferme et dépité.

L’idée de lui demander de me ramener de l’eau me traverse l’esprit mais il risque de pas capter que c’est dans mes yeux, que c’est pas qu’un petite poussière, et que donc, je douille vraiment. Je ne sais pas ce qu’il risque d’aller chercher encore, et je crois que j’ai eu mon lot pour la journée. Je soupire, et marche lentement. Après quelques pas, je tâte le sol devant moi pour éviter de me retrouver (encore) mouillé. Quand mon pied ne touche plus rien sous lui, je le range, me penche, et plonge les mains dans l’eau fraîche. Je me lave le visage, les bras, puis passe ses derniers doucement contre mes yeux ouverts pour les débarrasser du sable.

Ma vision s’éclaircit peu à peu. Quand les blobs verts deviennent finalement des nénuphars, je lève les yeux vers le plafond. Il est. Magnifique. Je laisse échapper une exhalation devant les courbes du plâtre, la valse symétrique des inscriptions d’argent et de vert. Le plafond s’étend en suite de dômes, tous minutieusement sculptés. Quand je baisse les yeux plus bas et laisse ma vision s’étendre sur le contenu de la salle, j’y découvre l'existence de petites fontaines, réparties harmonieusement avec les blocs qu’on a vus plus tôt. Ah, si on avait joué à cache-cache ici avec les cousins... Je retiens mon rire, et, gardant les yeux rivés sur la façon avec laquelle le sable entoure chaque fontaine différemment, je demande distraitement à Artem: “Tu penses que… c’est une salle de méditation ?”

“J'sais pas, mais c'est cool comme endroit. Enfin, j'dirais que c'est plutôt une aire de jeu nan ? Mais version richarde qui a les moyens de reproduire des trucs à la atlantide ?”
Je glousse. Il a pas tout à fait tort. Perdu dans ma contemplation, mes yeux s’arrêtent sur les rebords de la fontaine la plus proche. Tiens, au milieu de la matière sablonneuse qui la façonne, il y a des reflets de bleu. Créés par ce qui a l’air d’être… Des tuiles ? Je replonge les yeux au fond du cours d’eau devant moi et cette fois, j’en contemple la symétrie. Entre le bleu et le blanc, une petite touche de vert et de rouge surgissait chaque cinq tuiles au fil des longs rectangles qui revêtissent le fond. Maintenant que j’y pense, elles ressemblent beaucoup à celles des murs artisanaux qu’on a vu au Maroc lors d’un voyage avec des amis, il y a deux ans.

“Vy pomnite skazki, kotoryye nam rasskazyvala papochka ?”
Le commentaire d’Artem efface les couleurs qui dansent dans mon esprit pour laisser un souvenir y déferler. Un énorme sourire étend les coins de ma bouche, presque malgré moi. “Selvfølgelig !”* renchérit-je. Avec les cousins, on se rassemblait souvent autour de Babushka et son énorme livre plein d’histoires et de contes slaves. Et près de la cheminée, ses récits faisaient presque bondir les images hors des pages.  J’écoutais tout religieusement, profitant aussi des seuls moments où Artem était assez intéressé pour me laisser tranquille. Grand-mère savait comment raconter une histoire. Elle savait où s’arrêter, où donner du ton et où passer rapidement. J’ai entendu d'autres personnes raconter certaines de ces histoires et aucune d’entre elles ne réussissait à me faire trembler, rire ou crier de surprise comme ma babushka d'amour.

Puis je me rends compte que je ne sais pas d’où cette question vient. “Pourquoi ?” demandé-je en me tournant vers Artem. Il désigne quelque chose sur le côté, je tourne le visage. “Lichno mne eto mesto nemnogo napominayet atmosferu Kitezha.”

J’ouvre des yeux ronds. Leshy ? L’esprit protecteur de la nature ? Je me lève en trombe, vais vers la statue. Oh mais c’est vraiment un statue de Leshy ! J’exhale, un rire au fond de la gorge, émerveillé. Puis, après l’avoir scruté, je bouge les yeux vers le prochain objet qui retient mon attention: une statue de… “Bozhe pravyy, eto Fenrir?”** m’exclamé-je, arpentant le sol entre Leshy et l’un des murs de la salle plus vite que je n’aie le temps de parler. Tout aussi grande, j’ai presque l’impression de voir la roche sculptée à la place des yeux du dieu loup me fixer comme un élu. Les mythes scandinaves, c'est mon père qui me les appris. Et ces mythes disent que Fenrir devait dévorer le soleil. Cela dit, ses enfants, Sköll et Hati, n’ont fait que courir après lui et la lune. Ils n’ont jamais dit qu’ils portaient la moindre volonté destructrice venant de leur père. Peut-être que les gens de l’époque ne comprenaient juste pas les loups. Peut-être que tout ce que Sköll et Hati voulaient, c’est courir après leur destinée, représentée par les deux astres. Deux loups qui courent après deux grands ballons, un peu comme Artem et moi.

De toutes les statues, Fenris ? Il n’a pas exactement une histoire qui enchante. Mais bon, Veles est aussi un peu associé au diable depuis le Chistianisme. J’imagine que Monsieur Shining voulait vraiment avoir un loup ici, donc il a pris la première divinité à laquelle il a pu penser. Je soupire, dégageant mes pensées par la même occasion, puis me tourne vers Artem. "Ah, og kan du huske den krise, du havde, da babushka fortalte os historien om Baba Yaga?”*** nargué-je. Je me mets déjà à rire à l’évocation de ce souvenir.

“J...'m'en souviens pas ! T'es sûr que c'est pas plutôt toi qui avais piqué une crise ??? De toute façon, on s'en fout, on s'en tape, on s'en branle !! Viens euh, y'a d'autres trucs à voir par là !”

J’éclate de rire tellement fort qu’il faut que je m’appuie sur le bas de la statue pour ne pas tomber. Je sais pas c’est quoi le plus drôle: le souvenir en lui-même ou sa réaction. Je le suis difficilement quand il tire ma manche - pas facile de marcher sans s’étouffer quand on essaye de contenir un éclat de rire.

“Waw euh, t'as vu, une... GROTTE !! Truc de ouf pas vrai ?? ON VA VOIR À L'INTERIEUR OK ??”

Mais vous avez vu sa face ? Il est tout rouge, bozhe moy* ! C’est pas la cave qui le fait encore plus flipper là, si ? Le connaissant, je pense pas que je me trompe. J’échoue lamentablement à garder mon rire dans ma gorge. Et là je ris tellement fort que mes genoux menacent de me lâcher. Si toutes les personnes qu’il a terrorisé le voyaient, là !

Je me résous à ne plus le regarder pour réussir à respirer quand même - à marcher aussi. Artem me tire vers la grotte sans un mot. Je ne me calme que trop lentement, cela dit, parce que dès que le souvenir de sa face devant le conte disparaît de mon esprit, je me souviens de comment il s’est caché dans le bas de robe de babushka. Mon rire retentit sur les parois de la grotte. Il n'y a que quand je me souviens de comment mama devait le réconforter la nuit longtemps après cet incident que je me calme un peu. Il a sacrément douillé, le pauvre.

Dès qu’on s’engage un peu dans l'orifice, on commence à en voir les parois luire. Des inscriptions. Je n’en déchiffre aucune, mais je pense reconnaître des runes nordiques et des lettres arabes. Je ne vois pas encore le fond de la grotte: elle a l’air de serpenter encore longtemps devant nous, mais pour le moment, je ne fais qu’admirer les murs qui luisent de plus en plus avec l'obscurité qui s'installe. “Il a vraiment pas fait les choses à moitié, monsieur Shining…” exhalé-je, émerveillé.