Aube et sable dorés • PV Daniel

…

C’est pas vrai.

C’est pas vrai. C’est pas vrai. C’est pas vrai. C’est pas vrai. C’est pas VRAI. C’EST PAS VRAI. C’EST PAS VRAI. YEBENA MAT’. GOVNO.*

Je me frappe la tête avec un telle force que je vois blanc une fraction de seconde. Je soupire bruyamment, recroquevillé vers les jambes sous mon drap. Dites-moi que ça vient pas de se passer. Dites-moi que je vais pas recommencer après AUTANT DE TEMPS. J’appuie mes paumes contre mes yeux, cache la faible lumière du jour par cette même action. J’inspire, expire, mais ne réussit qu’à laisser échapper un sanglot. La voix que j’ai entendue en rêve résonne dans ma tête et l’espace d’un instant, j’ai presque l’impression de la sentir dans le creux de mon oreille. “Je t’aime…” Ses bras glissent autour de ma taille, son souffle enrobe ma peau, son rire presque enfantin me gonfle la poitrine. “Maya…” Ses lèvres embrassent les miennes, sa peau accueille mes baisers. “Shura…” Ah, elle est si belle… Tellement belle que j’en ai mal. J’ai mal. Pourquoi j’ai mal ? Pourquoi j’y pense ? J’ai pourtant tout enterré. J’ai pourtant fait le tour de tout ce que je devais confronter pour enfin passer à autre chose. Alors pourquoi ? Pourquoi Shura ? Pourquoi tu pleures comme un gamin ? Pourquoi tu rêves d’elle ?

Geez Artem me TUERAIT s’il me voyait. La vue toujours embuée, je quitte ma chambre, vais me laver le visage. L’eau refroidit un peu la chaleur des émotions. Respire, Shura. Respire. Quand je regarde mon reflet dans le miroir, je me trouve sacrément pathétique. Je parie qu’elle en aime un autre aujourd’hui, et que je ne lui traverse même pas l’esprit. Il n'y a que moi qui rêve d’elle trois ans plus tard comme un idiot. Et qui en pleure. Blyad’**, Shura, faut vraiment que tu te reprennes en main.

De retour dans ma chambre, j’ai trop peur de me rendormir et d’encore rêver de nous sur un tapis de cyclamens, donc je me change et décide de sortir prendre l’air. Sérieux, des pauvres fleurs trouvées dans l’eau et c’est reparti pour un tour ? Et que j'ai vu il y'a une semaine ? Ça tenait vraiment qu’à un fil ? Haha. Quand l’air du matin emplit mes sens, je ne m’arrête plus. Je marche, respire, ma musique dans les oreilles. Tout pour ne penser à rien. Et un téléphérique et deux bon kilomètres plus tard, je me retrouve face à l’eau.

Je prends un moment pour réaliser que je ne peux plus avancer sans me mouiller. J’enlève mes écouteurs et les range. Les vagues déferlent, vont et viennent sur le sable doré. Elles viennent quand il faut, et vont quand il faut. Rien ne résiste à ce procédé, ni l’eau, ni le sable, pas même le vent. Je guette leur mouvement, et, doucement, m'assoie sur le tapis doré de la plage. Je regarde les vagues, et avec eux, mon cœur bat à chaque mouvement. Son rythme ralentit. Je ferme les yeux et laisse leur berceuse m’apaiser. Mes larmes coulent enfin sans que je ne me batte contre elles. Je ferme les yeux et laisse la tristesse déferler sur ma conscience comme l’eau sur le sable.

Bien enfoncé dans mes émotions, je sursaute quand quelque chose de mouillé me touche le bas des yeux. Et non, pas qu’une éclaboussure. C’est dur, comme une patte ou une main. Une curieuse personne aux cheveux bleus apparaît alors dans mon champ de vision. J’efface vite mes larmes. C’est pas il, elle ou iel qui m’a touché là ? Si ? “N’ai crainte, je ne dirai rien de ce qui passe… Bonjour, belle âme. Qu’importe ce qui pèse lâche tout. Ça ira mieux.”

D’abord, je ne fais que le.a regarder, sans trop comprendre ce qui viens de se passer. Puis, pour quelque peu diminuer la gêne que je ressens, je me racle la gorge. Je lève les yeux vers les ambres qui me fixent, puis, secoué par un sanglot sans larmes, lui réponds, un sourire aux coins des lèvres. “E-euh. C-C’est gentil, merci. Mais ça ira...”

Dans le ciel, le soleil est un peu moins timide que quand je suis arrivé. Je fixe son reflet sur l’eau et ajoute: “Puis… C’est un peu embarrassant." Je ne pleure plus, mais mon coeur commence doucement à se refaire lourd. Mais je ne suis pas du genre à tout débouler à un inconnu. Puis… Je pense qu’il ne vaut mieux pas parler d’elle plus encore. Histoire qu’elle disparaisse à nouveau de mon esprit. Elle et les magnifiques azur au fond de ses yeux. Une autre larme roule le long de ma joue. Pathétique, Shura. Pathétique.

"Je ne suis pas sûr que que ça soit le bon plan pour toi, belle âme. Ça te pèse beaucoup. Je ne risque pas de tout comprendre. Désolé pour ça."

Welp, ça craint grave là. Un peu trop pour que je puisse bien le cacher. Il ou elle est gentille, cette personne. Mais je ne le regarde pas. Je me contente de serrer les lèvres, une pauvre tentative de ravaler mes larmes. J’y arrive, enfin, un peu. La mer brille sous le bleu de ses yeux.

Je ramène vite mon visage du côté opposé de la caresse de l’inconnu - pas méchamment, juste un peu gêné de la tactilité d’une personne que je connais pas, mais je ne fais pas de commentaire.

"Dis-moi, cette belle âme a un nom ? Moi, c’est Daniel. Enchanté, même si la situation est un peu mal venue pour toi. Vraiment.
- Shura. Enchanté, et merci de ta gentillesse... "

Je parle à voix basse et très doucement. Je ne regarde pas Daniel, je garde les yeux rivés sur la mer et le soleil, la demi-aube qui s’en va bientôt. Les vagues déferlent toujours sur la plage, comme me rappelant que je ne dois pas recommencer à me battre contre mes émotions. Je soupire, quasi simultanément avec la personne près de moi. Une autre larme roule le long de mes joues, avec le vague souvenir de sa voix quand elle chantait en libanais. En plus des bruits de la nature, je n’entends que l’agitation de ses pieds et ma propre respiration chevrotante, mais encore une fois, je ne fais aucun commentaire. Puis, ça ne me dérange pas plus que ça.

"Je te dérange si je reste ?"

Je lève les yeux vers la tête bleue. Il ou elle ou iel a vraiment l’air de s’inquiéter, bien qu’iel ait été un peu trop tactile. Ça me touche. J’esquisse un léger sourire et hoche la tête. “Non…” dis-je tout simplement. Ce serait impoli. Puis… Je ne dirais pas non à un peu de compagnie. Je ne connais encore pas grand-monde, et appeler Artem à la rescousse serait un peu du suicide. J’ai pas trop besoin d’explosions ou de “MAIS TU VAS PAS RECOMMENCER BORDEL DE MERDE !!!” même s’il penserait bien faire. Je me flagelle déjà assez. Je soupire à nouveau…

"Ça ira…" le rassuré-je, doucement, ne le regardant toujours pas. “J’ai… J’ai juste rêvé de quelqu’un dont je n'ai pas envie de me souvenir” et je serre un peu mes jambes contre moi.

“Je vois que ça n’ira pas, pas tout de suite.”

Je pousse une profonde exhalation. Non. Ça n'ira pas tout de suite. Ça n'ira pas tant que je l’entends chanter dans mes oreilles et que tout dans mon corps et dans mon cœur se languit de son absence.

“Une part de toi veux l’oublier cette personne. Mais une autre partie de toi s’accroche à ses souvenirs. Ces moments que vous avez sûrement partagés.”

Je lâche mes jambes et me laisse doucement tomber en arrière, libérant un autre soupir. Je ferme les yeux, laisse la chaleur du sable me caresser le dos, trouver son chemin vers le cœur qui tremble dans ma poitrine. “Elb majrouuuuh w itnahhaaaaaad maa nnay~” (♫) Elle chante. Ses belles boucles brunes dansent son dos, presque au gré de la chanson. Combien de fois ai-je admiré ce tableau ? Combien de fois les ai-je regardé cascader quand je les libérais des broches de son chignon ? Combien de fois ai-je laissé mes doigts courir le long de leurs flots, sans jamais me lasser de leur douceur ? Combien de fois ai-je fourré mon visage contre sa tête pour les sentir ? Ah et ils sentaient si bon… Elle sentait tellement bon…

“Il est dur de tourner la page. Les pensées, nos souvenirs, nos sentiments viennent se mélanger quand on dort.”

Je rouvre les yeux, deux nouvelles larmes silencieuses coulent sur mes joues. Je pensais que je l’avais tournée, cette page. Mais quand je pense que tout va bien et que je peux enfin vivre sans que ses souvenirs me tourmentent, je retombe la tête la première dedans. Et c’est justement ce que Daniel est en train de décrire qui me fait peur. Mes sentiments.

Cette partie de moi qui l’aimera toujours.

“N’en veux pas tes pensées, elles disparaîtront avec le temps, c’est ce qu’on dit. Tu vivras d’autres expériences qui l’effaceront de ton esprit.”

Après trois ans de rupture et ce que j’ai vécu comme cent ans de travail sur moi-même pour ne plus penser à elle, je ne pense pas que Maya sortira de ma tête complètement, un jour. Mais il y a un fond de vérité dans ce qu’il dit. Ce n’est qu’un jour de rechute, pas une rechute entière… Ca… Ça passera. Enfin, j’espère. Une rechute aussi moche après trois ans et plus d’une bonne année sans qu’elle ne s’invite dans mes rêves...

“C’est un beau coin. Tu as le droit de vivre de belles expériences Shura.”

J’inspire et laisse l’air marin rejoindre mes poumons. Il fait vraiment bon ici. Et oui. J’embarque pour une nouvelle aventure. Nique le passé que dirait Artem. Ce n’est qu'un mauvais jour. Ça ne veut pas dire que je vais retomber là-dedans. Mais me laisser être triste aujourd’hui, c’est important. Peut-être que, comme le cycle des marées hautes et marées basses, ça devait arriver aujourd’hui.

J’ai juste… peur que ça me dise qu’il y a encore du travail à faire après autant de douleur.

“C’est gentil… J’ai juste peur qu’il y ait encore des choses à dépoussiérer et examiner et remplacer et tout. Et franchement, j’ai plus envie de faire ça… Pas après trois ans...”

Malgré moi, ma dernière phrase sort avec un sanglot. Cachant le soleil qui sort de derrière un nuage par mon bras, je ne vois que la couleur de ses yeux sur le ciel. Ses beaux yeux bleus avec cette infinie douceur. Ils auraient pu contenir toutes les douleurs du monde, les bercer, et leur redonner vie. Maya...

“Elle me manque…” Je me l’avoue enfin, et me crispe à cette réalisation. Mais qu’est-ce qui me prend, bon sang ?

"Des choses qui semblent apparaitre de nulle part". Ça oui, ça sort de nulle part. De pauvres petites fleurettes baignant paisiblement dans l'eau d'une fontaine et regardez dans quel état je me mets. Et oui. J'aurais tant aimé tout savoir. Tout comprendre. Et le pire c'est que j'ai ma part de la faute. J'ai refusé de lui adresser la parole. Ce que je le regrette maintenant…

Je soupire et je me redresse, lentement. Je porte à nouveau les yeux vers les vagues qui vont et qui viennent toujours sur le sable. C'est presque un chant de méditation. Un chant de la nature pour les âmes troublées. Je glousse en entendant l'image de Daniel. C'est vrai… j'ai peut être perdu celle que j'ai cru être l'amour de ma vie, mais j'ai trouvé tout le monde à mes côtés. Ma maman, Artem, mes amis. Et dans ces moments, j'ai compris à quel point j'avais de la chance de les avoir. Ils n'ont pas toujours dit ou fait ce qu'il fallait, mais ils m'ont tous dit qu'ils m'aimaient à leur façon. L'amour que j'ai senti m'entourer a été tel que j'ai trouvé le courage d'avancer dans mon deuil. Et je ne pourrais jamais assez les remercier pour ça. Sans compter tout le temps que j'avais à assez avec mes amis et mon frère, tous les nouveaux souvenirs qui ont pavé les trois dernières années. L'amour platonique n'est pas assez valorisé.

Et oui, elle me manque. Oui j'ai rompu tous les ponts, mais il y a des jours ou elle me manque terriblement, où mon cœur me dit qu'il n'arrêtera de faire mal aux parois de ma poitrine que quand elle m'aura pris dans ses bras. Mais l'eau et la compagnie de ma nouvelle connaissance le rassurent doucement, lui disent qu'il n'a pas besoin d'elle, même s'il peine à les croire.

…

Attendez, il vient bien de dire que je pouvais le ou la ou lea frapper si je voulais ?
A l'entente de ces mots, je ris pour la première fois depuis ce matin. Un rire léger, mais qui vient du cœur. "Ouais, c'est pas du tout agréable" déclaré-je enfin. "Mais frapper les autres ne l'es pas non plus, tu sais" je continue à rire, regardant la moue bien innocente qu'il ou elle me présente, et qui me fait glousser un petit peu plus. "Je laisse ces moyens... radicaux à mon petit-frère." Vous imaginez qu'un de nos amis aie sorti ça a Artem quand il était en pleine crise basané aux yeux verts ? Je veux dire, le simple fait de lui dire qu'il crisait aurait été assez pour qu'il le réduise en chair à pâtée, avec l'invitation en sus !

Daniel me parle de ses cousins et cousines, et je pense aux miens un instant. Eux aussi ont été là post-rupture, et pas que post-rupture. Ils ont toujours été là, et je peux affirmer sans aucun doute qu’ils le seront toujours. Puis il ou elle passe aux gens qui frappent avant de réfléchir. Je glousse à ses paroles. “Artem n’est pas méchant, dans le fond. Il est juste un peu explosif sur les bords...” expliqué-je, un grand sourire sur les lèvres.

Je regarde la personne se lever dans un geste extrêmement souple. C’est vraiment impressionnant ! J’ai rarement vu ça.

“Content que tu penses un peu à autre chose. Je suis sûr qu’on pourra faire des choses sympas. C’est mieux que rester là. Et penser, même si relâcher toutes ces pensées, c’est bien aussi.” Quelle curieuse façon de demander à passer du temps avec quelqu’un. C’est vraiment adorable. Mais je ne peux pas exactement dire que je pense à autre chose, dans le fond. J’ai toujours la voix de Maya dans les oreilles entre deux bruits ou paroles.

“Je n’ai pas de ballon. Mais je suis sûr qu’on peut faire plein de choses. En plus, elle est assez bonne, la mer. Bon un peu froide, je t’avoue. Mais on s’habitue.” Ah, mais maintenant que j’y pense, je ne me suis pas encore baigné du tout depuis mon arrivée ici ! Mon maillot est de l’autre côté de l’île cela dit… Tant pis. Je pense bien que ce short est destiné à finir mouillé sur Island Eleven - d’abord les éclaboussures à cause du saut impromptu d’Artem au milieu de la fontaine du QG, et maintenant ça.

La danse de Daniel me dit que je suis vraiment tombé sur quelqu’un de particulier, à laquelle je ne souris qu’un petit peu plus. Pas dans le mauvais sens, c’est juste spécial. Puis il ou elle a l’air vraiment doué.e avec les émotions. J’enlève mon tee-shirt et prend soin de laisser mon téléphone et mes écouteurs dessus, et mes sandales près de lui. Je trempe les pieds pour la première fois dans l’eau lumineuse. Le sable file sous mes pieds. Je souris comme un enfant auquel on a fait découvrir la plage pour la première fois, puis m’avance timidement dans l’eau. Je m’arrête quand elle monte à mes cuisses. “Elle est bien froide l’eau, dis-moi !” La température me chatouille presque, j’en ris, aussi pas façon de réagir au frisson qui monte le long de ma colonne vertébrale. Je me lave aussi le visage, lavant avec lui mes yeux encore larmoyants. Quand je tourne les yeux vers Daniel, je le ou la ou lea vois tenir se tenir dans l’eau comme si de rien n’étais. Il ou elle ou iel a l’air de tenir quelque chose entre ses mains, mais je ne m’attarde pas trop dessus.

“Tiens… Ton élément ne serait pas l’eau ?” m’enquiers-je, curieux. Je serre les poings sous l’eau, hors des regards, ma façon de dissocier la lumière des flots de celle au fond de ses yeux. La lumière qui persiste dans ma tête.

Je ne savais pas que les gens dont l’élément était l’eau passaient autant de temps dedans.  C’est quelque chose que de toujours vouloir y revenir. L’eau lui fait peut-être l’effet que le parc à loups qu’on était allé voir avec Maya, une fois. Je ne me suis jamais autant senti moi-même…

Encore Maya… Pense à autre chose, Shura. Pense à autre chos----

Daniel finit sa phrase en m’aspergeant, comme ça, sans crier gare. Encore heureux d’avoir de bons réflexes: j’ai tourné la tête ailleurs au bon moment. Puis il ou elle ou iel ne s’arrête pas. Mais rien avoir avec les énormes vagues de ma très chère petit-frère. Ha, si tu savais de quoi j’ai l’habitude !

Je ris, de surprise et d’attendrissement. C’est très gentil à Daniel d’essayer d’aider… Tellement gentil. Puis son éclaboussure tombe pile au moment où j’allais “recommencer les conneries” comme dirait Artem. Je me prête donc au jeu, et lui lance de l’eau aussi, bien que pas avec autant d’énergie que je ne l’aurais fait habituellement. Mais ça, il n’y a que les gens qui me connaissent bien pour tilter dessus. Ça va mieux qu’il y a quelques instants, mais mes yeux piquent encore de toutes les larmes qui en ont coulé. Mon cœur s’est allégé, mais il reste lourd.

“Et non, ce n’est pas celui-ci” lui crié-je au-dessus du bruit des éclaboussures. “Je suis un bestial, et pas poisson !” Il ou elle a l’air pensif tiens. “Ah et, si tu veux, je peux aller chercher un ballon. Mon QG n’est pas loin d’ici !” Sa proposition d’il y’a quelques instants.