Aube et sable dorés • PV Daniel

Hmm… Son ton a beaucoup changé quand il a parlé de l’autre bestial qu’il a rencontré. Je me demande ce que cette personne a bien pu lui faire… Enfin, si elle est comme Artem, je ne suis pas étonné d’une telle réaction. Iel peut être un peu too much quand iel s’y met.

Et puis, quand je mentionne le ballon, les jets d’eau s’arrêtent pour qu’on me saute dessus. Je chancelle, un petit rire gêné sortant de ma gorge. “D’accord, va chercher le ballon. On pourra s’amuser. Se faire des passes. Mais ne te force pas pour moi. Tu dois d’abord penser à toi.” Quand il ou elle ou iel me lâche enfin, je lui réponds. “C’est qu’un ballon, tu sais…” Je souris, on dirait un enfant à qui on vient de présenter un bonbon. C’est vraiment adorable. “Et merci… Mais ne t’en fais pas, ça me fera du bien à moi aussi. C’est vraiment très gentil de ta part de t’en soucier.” Et je souris encore un peu plus. Mes paroles sortent du cœur - tomber sur quelqu’un d’aussi soucieux d’autrui un jour pareil est une réelle bénédiction.

Mais quand je m'apprête à faire volte-face, Daniel me tend un beau coquillage aux reflets bleus. "Mais c'est adorable !" fais-je en guise de réponse à ses paroles, une main sur le coeur. Je me saisis de l'objet et le tiens fermement pour ne pas le laisser tomber. "Merci de t'en soucier encore une fois, mais ne t'en fais pas. Il me fera surtout penser à toi, et tes cheveux." Je souris, très ému. C'est vraiment une bénédiction.

Je sors de l’eau, doucement, puis mets l'objet dans une poche profonde de mon short. Le soleil brille sur ma peau humide, réchauffe mon âme, comme un câlin. Enfin, un câlin duquel il va falloir que je m’éclipse dans pas longtemps si je ne veux pas finir grillé. Les joies de la peau blanche ! Je me tourne vers Daniel. “Je fais aussi vite que je peux !” Sur quoi je bondis, poils et muscles de loups séchant dans le vent. Je m’élance vers le terrain de la Chimérique, plus rapide sous ma forme animale.
Quand j’atteins l’endroit, je me dis un instant qu’il ne vaut mieux pas me rendre au QG. Prendre un ballon du terrain serait assez… Mais zut, j’ai besoin de crème solaire. Je soupire et gravit les marches du dôme de sable, m’enfonce dedans. L’eau de la fontaine coule, je passe la pièce plus vite que je n’aie le temps de penser. Éviter ces fleurs pour le moment. À tout prix. Mais malgré cela, j’entend des notes de violon dans ma tête. Un archet glisse sur ses cordes, deux yeux bleus fixent intensément son mouvement. Je secoue la tête. Skontsentriruysya, Shura.*

Je passe dans les vestiaires, reprend forme humaine le temps de m’étaler de la crème solaire sur la peau. Quand je regarde mon reflet dans le miroir et celui de la crème sur ma peau, je me souviens que Maya a tenu à le faire une fois. Enfin, ça ne s'est pas exactement arrêté là… Je secoue encore la tête avant que la chaleur ne me monte aux joues. Skontsentriruysya, Shura.

Je reprends ma forme animale et m’élance hors du bâtiment.
Lorsque je reviens vers la plage, je tiens deux pans de tissu dans la gueule, tissu qui porte le ballon. J’arrive près de l’eau et pose l’objet bicolore sur le sable. La chair et les vêtements réapparaissent à la place de ma forme animale, dans une petite lumière. “Je ne t’ai pas fait trop attendre, j’espère ?” m’enquiers-je.

"Non , ça va, j’ai pu profiter de l’eau. J’adore, je me sens comme chez moi." Oh, ça me fait plaisir de voir que je ne l'ai pas fait attendre ! "Alors on fait quoi ? C’est un ballon de ton équipe, je te laisse le choix. Même une course, tout me va. Tant qu’il est là. Un bon ballon." Il ou elle ou iel parle sans s'arrêter, c'est particulier. Un de nos amis en Angleterre était un peu comme ça, enfin, moins le petit quelque chose qui fait l'excentricité de Daniel. Mais avant que je n'aie le temps d'ouvrir la bouche ou même de prendre le ballon dans mes pieds, ce ou cette dernier ou dernière enchaîne: "Ah je te mégenre pas au passage ? Ça serait bête d’obtenir un carton rouge sur notre amitié."

Je ris et agite la main, signe qu'il ne fallait pas en arriver là, je sens mes yeux se plisser à leurs coins. "Non non, ne t'en fais pas. Je suis bien un il !" Paroles suite auxquelles je prends le ballon dans mes pieds, me mets à jongler avec. Habitude. Je me retourne vers Daniel. "Ne t'en fais pas, je t'aurais juste corrigé si tu m'avais mégenré. Je ne t'aurai pas classé comme mauvaise personne à ta première maladresse." Je souris. "Et toi ? Comment je dois te genrer ? Pas pour être intrusif bien sûr, juste pour ne pas commettre de maladresse non plus."

Je laisse mon regard se promener sur l'étendue de la plage, puis un peu plus proche, vers mes pieds. Il y a pas mal de pierres qui pourraient servir à marquer un goal. "Alors ? Tu préfères qu'on se fasse des passes ou un match ?" Et j'arrête de jongler un instant pour lui envoyer le ballon, souriant toujours. Le violon de Maya joue un poil moins fort dans mes oreilles.

Iel, donc. C’est noté. Oh non, iel n’a pas à s’en faire. J’ai eu beaucoup d’amis non-binaires, et mon propre frère-soeur utilise ces pronoms des fois. Je fais donc mon possible pour les utiliser correctement. “T’en fais pas, je te promets de faire ce que je peux quand même.” Nouveau sourire.

Quand je lui passe la balle, je lea vois jongler un moment avec elle avant de me la rendre. Je ne rattrape la balle que de justesse, distrait pas la danse qu’iel exécutait avant cette action. Je ris encore malgré moi. “Je n’ai jamais vu personne danser avec un ballon” lui déclaré-je, faisant jouer le ballon entre mes pieds. “C’est particulier.”

Je jongle un moment avec le ballon, et, entre deux coups et deux actions de Daniel, le violon s’éteint un petit peu plus.

Puis je me rends compte d’un truc.

“Oh tiens, maintenant que j’y pense.” Je lui renvoie le ballon. “Tu veux écouter quelque chose ?” Je baisse les yeux vers ma poche, sors mon téléphone, Spotify. J’appuie sur le bouton aléatoire. “Slow and Steady” s’élève des hauts-parleurs. Je souris. Ça fait longtemps que je n’avais pas écouté cette chanson. Puis… Elle reste rythmée, mais elle est un peu comme une berceuse. “Ou tu préfères un titre en particulier ?” Je lève les yeux vers lui, garde mon téléphone en main. Je n’ai pas envie de lui imposer quoi que ce soit. Les percussions se battent contre le violon dans mes oreilles. Maya aimait bien cette chanson, mais pas assez pour que l’écouter me donne un coup dans les entrailles. C’est déjà ça. Puis, si je me mets à faire le tour de toutes les chansons qui ne la portent pas en eux quelque part, ma pauvre playlist en serait réduite à un ou deux titres.

Si l'entendre ne me fais pas pleurer, ça veut dire que ça commence déjà à aller mieux que ce matin.

Iel n’a pas tort. C’est vrai qu’on peut se permettre de se relâcher quand on est pas sur un terrain. Mais je n’aurais jamais pensé à danser avec un ballon en guise de relâchement. Je suis tombé sur quelqu’un de bien créatifve. Et j’en suis bêtement heureux. Moi, je ne fais que jongler d’habitude. Je travaille certaines compétences, des fois. Ou alors je fais quelque chose de complètement différent qui n’implique pas le foot, comme patiner. Mais danser ? J'aime bien faire ça, mais je ne le fais pas très souvent. Cela dit, j’ai dansé avec Maya des fois, vu qu’elle adorait ça... Le violon repart en crescendo. Je secoue la tête. Skontsentriruysya, Shura. La musique, donc. La musique. “Slow and Steady”. Les percussions du titre reprennent le dessus sur le violon.

J'écoute attentivement ce qu’iel m’explique. “Slow and Steady” continue de bercer les vagues, et mon coeur avec. “En anglais, donc,” répété-je. “Hmmm” fais-je en fouillant dans mes playlists. “Mais tu veux plus un titre ou un artiste ? Je suppose ?” Je lève à nouveau les yeux vers Daniel. “Oh non non ! Pas forcément. Alors, j’ai une playlist avec surtout des artistes qui chantent en anglais. Il y a une ou deux chansons en russe, cela dit. Ça te dérange ?” Je souris, range mon téléphone. Ça n'a pas l’air de le déranger, donc ça va. Le prochain titre passe, “Wolves Without Teeth” de Of Monsters and Men. “Aaaah je l’adore celle-là !” déclaré-je en regardant le ballon jouant dans les pieds de Daniel. Le violon n’est plus qu’une lointaine rumeur dans ma tête quand j’écarte les jambes, paré à recevoir le ballon. Et je pense bien qu’il n’y a qu’un ballon qui puisse me faire cet effet.

Iel a vite retenu le refrain, tiens ! Je glousse entre deux passes. “Tu te débrouilles pas mal !” Iel chante juste une chanson qu’iel vient d’entendre, encore une fois, c’est particulier. Quelle étrange découverte le ciel m’envoie par une matinée aussi… particulière. Donc iel cherchera la traduction des chansons qu’iel ne comprend pas. Je vois. Moi, je préfère essayer de comprendre à travers le ton, l’expression, et la langue universelle qu’est la musique. A travers la rencontre de syllabes qui s’agencent comme des mots qu’on connaît aussi. Et à travers ce procédé, les notes me transportent. Comme les chansons de Maya, donc je ne comprenais pas un mot. Nouvelle passe. Recommence pas, Shura. Pas au moment où le violon s’éteint enfin par la magie d’un ballon bicolore.

“Tu as beaucoup de playlists alors ? J’avoue que moi, je mets tout ce que je mets tout dans un playlist sans discernement. Peut-être que je devrai ranger.”

Les mots de Daniel me rappellent sur terre, juste à temps. Quand je rattrape le ballon, je jongle un peu avec entre mes pieds. Puis derrière mon dos. Allez Shura, laisse pas le violon recommencer. Ne laisse pas sa voix reprendre le pas sur tes pensées. “Wolves without teeth” laisse place à “Slow Motion” de Kalandra. Les montées et les descentes de la musique écartent les brumes de mon esprit. “Euh… oui. J’ai beaucoup de playlists.” Je ne prononce ces paroles que distraitement. Je jongle encore, canalise mon attention vers le ballon qui joue entre mes pieds. Je ne regarde plus Daniel. Tout ce que j’ai fait pour penser à autre chose, toutes ces paroles, ces actions, tout ce que j’ai dit ou qu’on ma dit depuis ce matin, toute cette brume s’écarte graduellement de mon esprit, pour ne me laisser que face à une Maya qui affiche son plus beau sourire.

Mais ce n’est pas ça qui me perturbe.

Ce qui me perturbe, c’est que je réalise que j’ai encore des choses à lui dire. Que dès qu’une rechute comme ça pointe le bout de son nez, un centaine de non-dits refont surface.

Des non-dits que je n’ai paradoxalement aucune envie de lui dire.

Rhaaaaaa mais qu’est-ce qui me prend encore ? Je renvoie le ballon à Daniel. Perturbé, je lui demande: “Tu veux qu’on mette un titre en particulier ? On peut aussi mettre ta playlist si tu veux.” Pense à autre chose, Shura. De toutes les façons, tu ne la reverras plus jamais.

Et cette pensée me traverse l’esprit avec un soupçon d’amertume au fond de mon cœur.

Cheap thrills, donc. Tout le monde connaît cette chanson, un peu la base de nos soirées en Angleterre. La musique s’élève dans les airs avec des souvenirs plus agréables. Enfin, pas trop sûr de ce que je dis quand je repense à toutes les fois où j’ai dû ramener un Artem qui menaçait de me vomir dessus toutes les cinq secondes dans sa chambre. Je glousse légèrement quand ce souvenir rencontre une réalité où mon nouvel ami.e danse et chante à pleins poumons en jouant de son ballon. Impressionnant de pouvoir rester concentré.e sur le ballon en effectuant ce genre d’actions. Daniel danse presque comme dans le clip - iel ne saute pas non plus sur un partenaire qui lea retourne, mais le fait qu’iel garde le tempo avec une balle, c’est vraiment spécial.

“Puis au moins, il y aura pas de musique lié à cette personne qui te préoccupe tant. C’est mieux. C’est la mienne.”

C’est un peu ça le problème.

Aujourd’hui, Maya est partout.

Même dans une stupide musique de soirée.

Je ne réagis presque pas à ses paroles, mais il n’y a pas grand-chose à quoi réagir de toutes les façons. Et même s’il y en avait, les demi-lumières colorées du premier étage de la villa d’un ami se profilent dans mon esprit. Les gens boivent, ou discutent, ou font ce que tous les adolescents du monde font en soirée. On danse, on chante. Elle danse, et pour ne pas changer, je n’ai d’yeux que pour elle. Pour ses beaux yeux bleus qui brillent même dans un éclairage comme celui-ci. Pour les boucles qui dansent contre ses courbes. Ce faisant, tout ce que je ne lui ai jamais dit ressort. Les pensées et les mots fusent, embrouillent mon esprit entre deux passes. L’action n’a pour effet que d’interrompre brièvement tout ce qui bourdonne dans mes oreilles, un son qui en couvre un autre pour une fraction de seconde. Mais au milieu de tout ce bruit, je comprends ce que je dois faire aujourd'hui. Je démêle doucement l'enchevêtrement émotionnel. Les pourquoi et les comment me guident vers ce que je dois faire.

“Pardon, je crois que j’ai pris ma serviette avec. Il faudra que je récupère mon sac à la fin. Mais on y est pas.”

Ce n’est qu’à ce moment-là que le bruit et les sentiments retombent. Iel s’adresse à moi, et là, je pense qu’iel s’attend à ce que je réponde. “Ah euh, on peut aller le récupérer tout de suite si ça te préoccupe !”

Et puis, franchement, je suis en train de traîner une pauvre personne dans mes pattes un jour où je ne suis pas le plus agréable à avoir autour de soi. Je me mord la lèvre inférieure, sérieux, je m’en rends compte que maintenant ? Sur un ton désolé, je lui dis: “Et euh, ça fait un bon moment que tu es ici et je n’ai même pas pensé à demander si tu allais bien ou si tu avais des choses à faire. Ne te sens pas obligé.e de rester si c’est le cas…” Maladroit. Je suis très maladroit aujourd’hui.

Non non Daniel, c’est très gentil, mais on va aller chercher ton sac. Tous les deux. Ma façon de un tout petit peu te remercier pour ce matin. Même si tu n’as pas besoin de moi. “Je… J’y tiens, laisse-moi t’accompagner s’il te plait,” demandé-je.

Puis iel pose une main sur mon visage. Je sursaute et lève les yeux vers iel. Iel a vraiment l’air de s’inquiéter. “Moi, je vais bien, j’ai ma routine avec mon amie l’eau.” C’est déjà soulageant. “Je m’inquiète pour un type encore amouraché d’une sale vipère. Et ce n’est pas sympa pour les vipères.” Je grimace. Non. Non, Maya n’est pas une vipère. Même si c’est ce que Artem et maintenant Daniel pensent. “Je ne suis pas obligé de rester. Mais je reste. Pour voir ne serais-ce qu’un sourire. Je ne sais même pas pourquoi je veux ça. Je crois qu’une part de moi te considère déjà comme un ami.” Je souris, la sincérité de mon expression atténuée par ce qu’iel a dit d’elle une seconde plus tôt. “Ne l’insulte pas, s’il te plaît… Et ne t’en fais pas. C’est vrai que j’ai des rechutes. Mais je ne pense pas l’aimer comme avant.” Je n’ai même pas dit que c’était à mon ex que je pensais. Ça se voit vraiment à ce point que c’est ça ? Je soupire. Ah govno… “Une partie de moi l’aimera sans doute toujours, mais… C’est à moi de gérer. Ce n’est pas pour autant qu’elle est une mauvaise personne.” Qu’iel commence à avoir une mauvaise image d’une personne qu’iel n’a jamais rencontrée à cause de moi ? Hors de question. Peu importe les chances qu’iel tombe sur elle. Et puis, je suis sincère: au point où j'en suis, mes sentiments, mes ressentis et les milliers de non-dits sont ma responsabilité. Et c’est peut-être à cause de ça que mes rechutes sont aussi moches…

L’ombre dans les yeux de Daniel vacille pour accueillir un énorme sourire. Je rougis de gêne quand iel me frotte les cheveux. Iel est sacrément tactile, comme personne. Quand iel me lâche, je les arrange timidement. Ugh, je m’y attendais vraiment pas… “Dans cette optique, je pense qu’on pourrait s’échanger nos numéros, enfin, si tu veux bien.” Je me racle la gorge, chasse la gêne par cette même action. “Oui, bien sûr !” déclaré-je, radouci. Puis, je sors mon numéro de l’île, le lui dicte, puis attends qu’iel me fasse signe que je peux lui dicter le mien.

“Sinon, j’habite au chalet. Et toi ?” Mon sourire a repris son naturel.